Alain Jean-Mary mène une double vie.

Sa vie la plus connue, c’est celle du week-end. Il présente le bulletin météo au Téléjournal de Radio-Canada les vendredis, samedis et dimanches. Si son visage est familier au Québec, sa voix l’est encore plus : Alain Jean-Mary a animé à la radio pendant plus de 20 ans. Ciel, Rock détente, Rythme, Rouge, CKOI…

Sa deuxième vie, moins connue, plus récente aussi, se déroule à l’abri des projecteurs. Les jours de semaine, Alain Jean-Mary troque ses cartes météorologiques… contre le tableau numérique d’une salle de classe. Il enseigne le français à des élèves de troisième secondaire. Dans une école publique. Dans une classe ordinaire, au « régulier ».

Sur Facebook, ce mois-ci, Alain Jean-Mary a évoqué cette nouvelle passion qui l’anime. Faire de la suppléance est pour lui une action citoyenne, une réponse à l’appel de la nation ». La Presse est allée le rencontrer mercredi dernier dans son école de la banlieue nord de Montréal, entre son cours du matin et celui de l’après-midi.

CONTRIBUER, À SA FAÇON

Alain Jean-Mary a commencé à faire de la suppléance en octobre, quelques mois après avoir entrepris, en ligne, un certificat en accompagnement à l’enseignement à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Mais l’idée d’enseigner le travaillait depuis longtemps. Il a envie de contribuer, à sa façon, à inspirer la nouvelle génération.

« Donner un cours de français, c’est contribuer à faire comprendre la nuance et la subtilité de la langue française, pour comprendre les vraies affaires, et non pas les interpréter. »

— Alain Jean-Mary

Son père s’enorgueillit d’une carrière de 35 ans en enseignement. Sa sœur aussi est enseignante. Alain Jean-Mary, 51 ans, est donc bien placé pour savoir qu’en ce moment, dans le réseau public, il manque de bras.

« Tous les jours, il manque de profs », dit-il, en nous montrant l’écran de son cellulaire. Dans sa boîte de réception, les notifications faisant part d’un besoin de suppléance se succèdent. 9 h 55, 9 h 17, 8 h 43, 8 h 31. « Et souvent, ce sont les mêmes écoles, les mêmes classes. J’en déduis que, depuis le début de l’année scolaire, ces enfants n’ont pas eu d’enseignant régulier », dit le père de quatre grands enfants.

Alain Jean-Mary fait le parallèle avec les gens qui sont venus prêter main-forte dans le système de santé pendant la pandémie. Ses forces à lui, ce sont ses connaissances acquises comme intervieweur, sa formation universitaire, son talent de communicateur. Nul besoin de lui parler longtemps pour le réaliser : Alain Jean-Mary est un orateur, un vrai.

Les décennies d’animation qu’il a derrière la cravate lui servent en classe, dit-il. Il aime se promener dans la salle, jouer de la tonalité de sa voix. « En ce moment, on présente le conte merveilleux aux élèves, et je vais changer ma voix pour présenter les personnages », illustre-t-il. Ses élèves n’ont pas mis beaucoup de temps à découvrir son premier métier. Ils sont curieux, lui posent des questions.

STABILITÉ POUR LES ÉLÈVES

Alain Jean-Mary a choisi une tâche à temps partiel (deux classes, 16 heures par semaine) et il s’est engagé à rester jusqu’à la fin de l’année scolaire, pour offrir une stabilité aux élèves. Avant cette mission, il a fait un remplacement d’un mois et demi dans une classe de sixième année, dans un secteur défavorisé. Ça ne l’a pas découragé, au contraire. « Je me suis dit : je vais redoubler d’ardeur pour ne pas en échapper », dit-il. Sur Facebook, il a décrit cette première cohorte avec beaucoup d’amour.

« Allumés, anxieux, curieux, agités, talentueux, turbulents, doués, mes élèves étaient tout ça et bien plus. »

— Alain Jean-Mary

Il aime ça, enseigner ?

« Beaucoup, beaucoup, beaucoup. Vraiment », dit Alain Jean-Mary en se levant. Debout à côté du tableau numérique interactif, on le croirait en pleine présentation de la météo. « J’ai l’impression de donner à la société d’une façon différente. Quand je donne la météo, je donne des explications que j’ai peaufinées pour que ce soit le plus concis possible, le plus intéressant. Mais là, c’est le citoyen Alain Jean-Mary qui est là, devant une classe. C’est du concret », illustre-t-il en tapant le bout de ses doigts sur le bureau.

Des aspects de son nouveau travail le surprennent. Agréablement. L’ouverture des jeunes envers la diversité. L’entraide entre le personnel, aussi. Quand un collègue s’absente, les autres se mobilisent pour le remplacer (Alain Jean-Mary a même remplacé l’enseignant d’éducation physique dans sa première école !).

Est-ce qu’il mènera cette double vie jusqu’à sa retraite ? Pour l’instant, il se concentre sur ses deux classes. « Je veux absolument que ça fonctionne pour eux, dit-il. Et ensuite, on verra. »

Alain Jean-Mary tend la main aux autres professionnels, à ceux des affaires, des sciences, des médias et aux autres qui ont le temps et l’intérêt de faire de la suppléance. En attendant que la pénurie de personnel enseignant s’estompe, pourquoi ne pas venir donner un coup de main ? « Faire de la suppléance, une fois de temps en temps, ça recalibre les choses ! », conclut-il.

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