L’éviction de Joseph Pierre Richard Duplan et la démission de Fednel Monchery de la délégation départementale de l’Ouest et du ministère de l’Intérieur offrent des marges de manœuvre aux autorités judiciaires pour instruire en toute indépendance ce dossier. Les deux inculpés ne sont plus des « grands fonctionnaires » de l’État haïtien, le juge d’instruction peut se passer de pouvoir exécutif. Autrement dit, de l’autorisation du président de la République.

Publié le 2019-10-01 | Le Nouvelliste

Les nouvelles nominations au sein de l’administration publique cette semaine pourraient influencer le dossier de La Saline qui est pendant au cabinet d’instruction depuis plus de six mois. En effet, Fednel Monchery et Joseph Pierre Richard Duplan, tous deux inculpés pour leur implication présumée dans ce massacre, n’occupent plus leurs fonctions respectives : directeur général du ministère de l’Intérieur et délégué départemental de l’Ouest. Démis de leurs fonctions mardi et évincés par le président de la République mercredi, ces derniers ne sont plus des hauts fonctionnaires de l’État haïtien.

En vertu des dispositions de l’article 90 du code pénal, le juge instructeur en charge de ce dossier ne pouvait procéder à leurs arrestations sans l’autorisation du président de la République. L’article stipule : «Seront punis de la détention, tous officiers de police judiciaire, tous officiers du ministère public, tous juges qui auront provoqué, donné ou signé un jugement, une ordonnance ou un mandat, tendant à la poursuite personnelle ou accusation, soit d’un grand fonctionnaire, sans l’autorisation du chef de l’État…»

Cet article n’est plus de mise. Sauf en cas où les présumés coupables occuperaient à nouveau une fonction leur permettant de jouir le statut de «grand fonctionnaire» de l’État haïtien. Il revient à dire que Fednel Monchery et Joseph Pierre Richard Duplan pourraient être arrêtés si le juge d’instruction l’estime nécessaire. D’autant plus qu’il est le juge né des mandats. À noter que la Direction centrale de la police judiciaire avait recommandé d’émettre des mandats d’amener à l’encontre des personnes citées dans ce massacre.

Cependant, l’information judiciaire est suspendue car les parties visées avaient effectué une demande de dessaisissement auprès de la Cour de cassation. En matière pénale, la loi autorise aux concernés de récuser le juge en charge d’un dossier pour suspicion légitime ou sureté publique. Il incombe aux juges de ladite cour de statuer sur cette demande afin de faciliter la poursuite de l’instruction par devant une autre juridiction, si elle émet un arrêt favorable aux inculpés.

Bien avant cette action en dessaisissement, Fednel Monchery et Joseph Pierre Richard Duplan avaient exercé un recours de la décision du juge Chavannes Etienne par devant le tribunal des référés. Le doyen du tribunal de première instance de Port-au-Prince, juge né des référés, s’était déclaré incompétent pour révoquer la mesure de sûreté qui pèse sur eux. L’interdiction de départ étant encore d’application, il ne reste qu’à attendre l’arrêt de la Cour de cassation pour que ce dossier franchisse de nouvelles étapes.

les détails du massacre de La Saline révélés dans un rapport de l’ONU

Publié le : 22/06/2019 – 18:22Modifié le : 22/06/2019 – 19:49

rfi.fr

L’ONU a publié vendredi 21 juin un rapport édifiant sur le massacre perpétré en novembre 2018 par des gangs dans le quartier de La Saline, un bidonville de Port-au-Prince.

Les 13 et 14 novembre derniers, au moins 26 personnes étaient tuées dans une attaque du quartier de La Saline. Le massacre a duré plus de 14 heures sans que les unités de police présentes à proximité n’interviennent. Un sous-commissariat fait pourtant face au quartier. « Les agents de la PNH entendaient les cris des résidents », précise le rapport de vingt pages réalisé par la mission de l’ONU en Haïti et le Haut Commissariat aux droits de l’homme.

Cette inertie totale des forces de l’ordre a permis aux membres des cinq gangs impliqués d’éliminer les preuves de leurs actes, indique notre correspondante à Port-au-Prince, Amélie Baron. Ils ont mutilé, brûlé et abandonné les corps dans une décharge publique à la merci des animaux.

Encore plus troublant, le rapport des Nations unies corrobore les accusations déjà formulées par des organisations haïtiennes : un représentant du pouvoir exécutif serait impliqué dans ce massacre. Alors même que les gangs étaient en train de tuer et violer dans le quartier, des témoins ont vu arriver Richard Duplan, le délégué départemental de l’Ouest. « Vous avez tué trop de personnes, ce n’était pas ça votre mission », aurait-il dit. L’ONU demande à ce qu’une enquête soit menée sur ces allégations, car cela soulève la possibilité de complicité entre les gangs et l’État.

 Haïti : retour à La Saline, théâtre d’un massacre à huis clos

REPORTAGE

Dans ce bidonville de Port-au-Prince, 71 personnes ont été assassinées, le 13 novembre 2018, par des gangs réputés proches du pouvoir central haïtien. Le voile commence à être levé sur les pratiques de ces bandes armées dans l’un des pays les plus pauvres du monde.

Des abris de fortune construits sur les débris des maisons détruites par les incendies dans le quartier La Saline, le 30 mai 2019, en Haïti. DIEU NALIO CHERY / AP

Une ruelle. Le silence et la mer. Des maisons en tôle et en briques de terre collées les unes aux autres, quelques hommes et femmes assis à l’ombre des murs, un magasin d’alimentation – « Dieu qui décide » – fermé, des porcs qui déambulent librement à travers des montagnes d’immondices et un soleil de feu.

Une ruelle d’un bidonville de Port-au-Prince à première vue ordinaire. Les corps sont usés. La désolation se lit dans les regards, une colère froide aussi. Ici, à La Saline, la différence avec les autres quartiers de la capitale haïtienne est que la mort s’éternise peut-être un peu plus longtemps qu’ailleurs.

 Haïti : ce que le massacre à La Saline (quartier populaire) nous apprend sur la société haïtienne et la nature actuelle de la crise de l’État

 Depuis plus d’une année, Haïti est secoué par des manifestations monstres contre la corruption, le contrôle de l’Etat par des bandits et les inégalités résultant des politiques néolibérales. Ces mouvements s’inscrivent dans le combat continu du peuple haïtien contre l’exclusion, l’oppression et l’exploitation économique. La population exige l’élaboration d’un nouveau système de justice et d’équité sociale, et, malgré l’oppression sanglante, le peuple refuse de se laisser abattre.

Cela fait une année depuis que des gangs armés proches du pouvoir sèment la terreur. Le carnage commis entre le 13 et le 17 novembre 2018 au quartier populaire La Saline est l’un des plus marquants. Par égard pour les vies et parcours brisés, il est de notre devoir de souligner le premier anniversaire de ce crime de masse d’État.

En juin 2019, le Service des Droits Humains (SDH) de la Mission des nations unies pour l’appui à la justice en Haïti (MinujustH) publie un rapport de vingt pages sur ce massacre. Ce rapport détaillé suggère que l’attaque a été une opération planifiée au niveau du pouvoir d’État. Elle a été menée par au moins cinq gangs différents, soutenus par des agents du gouvernement, contre des membres de deux groupes rivaux et des résidents soupçonnés d’être associés à ces deux groupes.

Il est connu que la MinujustH, émanation du Core group1 et suppôt du gouvernement haïtien, ne saurait être accusée de parti pris ni de compassion pour la population des quartiers populaires. Pourtant, le rapport publié en juin par son Service des Droits Humains (SDH) souligne en conclusion :

« Le manque d’intervention étatique pour protéger la population contre les violences des gangs est particulièrement préoccupant. L’absence d’intervention de la PNH [Police nationale haïtienne] lors de l’attaque, … , a pu permettre aux assaillants d’agir avec impunité et a contribué au nombre très élevé de victimes. L’inertie observée des forces policières a également pu permettre aux auteurs des violences de transporter les cadavres, de les démembrer et de les brûler – y compris dans les jours qui ont suivi l’attaque – afin d’éliminer les preuves et d’empêcher leur identification. »

Si même la MinujustH admet des faits aussi graves, l’heure est critique. Toutefois, rappelons que de novembre 2018 à juin 2019, il s’agit du sixième rapport rédigé au niveau local touchant ces événements macabres, illustrant clairement l’impunité des crimes commis par des unités officielles alliées aux gangs proches du parti au pouvoir. Un bilan exhaustif fait état de 71 personnes assassinées, parmi elles 15 enfants de moins de 13 ans, deux autres portées disparues, 11 victimes de viols collectifs, 150 maisonnettes vandalisées et criblées de balles à Projet La Saline et ses environs ainsi que des dizaines autres incendiées à Nan Chabon.

 Cependant, s’il est vrai que ces événements n’ont cessé de défrayer la chronique, dans un certain sens (nous le verrons), ils sont le signe d’un certain temps. Comme le faisait remarquer l’avocat et ancien juge Sonel Jean François « les autorités haïtiennes se taisent, font le mort, comme si la mort d’autant de personnes ne les dérangeait pas ». Bien que des organisations de défense des droits humains ont, suite au massacre, dressé divers rapports, les actions posées par les autorités judiciaires haïtiennes n’ont été prises que tardivement. Les preuves ont été systématiquement détruites : des cadavres ont été brûlés et d’autres ont disparus. À ce sujet, l’OPC écrit :

« Saisi du dossier, Me Ocnam Clamé DAMEUS, alors Commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Première Instance de Port au Prince, ordonna à un Juge de Paix de se rendre sur les lieux aux fins d’effectuer le constat des corps, dresser le procès-verbal y relatif et procéder à la levée des cadavres. L’OPC n’a pas encore pu obtenir une copie dudit procès verbal de constat. Toutefois, les premiers éléments rapportent que le Juge de Paix n’a retrouvé que des morceaux, des fragments de corps humains sauvagement mutilés, ce qui rend impossible une évaluation exacte ou même approximative du nombre de cadavres. »

Sans aucun doute, ces morts ne dérangent pas le pouvoir, mais comment expliquer leur destruction ? Pourquoi refuser aux victimes une sépulture normale ? Comment expliquer que rien n’a été fait jusqu’ici pour que justice leur soit rendue ? Les auteurs du massacre sont connus. Si malgré tous ces rapports, les assassins circulent en toute liberté, cela atteste du profond mépris du gouvernement à l’égard du peuple ?

Cette impunité révèle des temps sombres que vit le peuple haïtien. Pour comprendre cela, deux éléments essentiels doivent être analysés : le contexte dans lequel le massacre a été commis et la structure métapolitique de la société haïtienne actuelle.

  1. Contexte global du massacre

Pour comprendre le contexte, il faut rappeler qu’en 2016 après des élections controversées, mais validées par le Core group, Jovenel Moïse et ses alliés prennent le pouvoir sans légitimité populaire. Une preuve de plus que l’impérialisme s’arroge le droit de manipuler les élections pour imposer au pouvoir des affairistes ignares, des gens assujettis à la défense de ses intérêts.

 Or, comme le signalait Paquin (1992), « Des élections truquées, des élections sans crédibilité, donnent comme résultats des guerres civiles, des violations des droits humains, des hostilités à n’en plus finir. » C’est dans cet imbroglio dans lequel Haïti se retrouve depuis plusieurs années. Premier État de la région à accéder à l’indépendance (1804), l’évolution du pays est toujours entravée par les interventions étrangères et des classes dominantes soumises aux puissances impérialistes. Cependant, depuis 2011, nous vivons une époque où les dirigeants politiques haïtiens, femmes et hommes, deviennent littéralement des marionnettes de l’impérialisme.

Maintenant, la présidence devient un pouvoir mafieux commettant impunément : massacres, assassinats, viols, arrestations arbitraires et détournements de fonds. Depuis 2011, le régime des bandits légaux a tout mis en œuvre pour s’accaparer de tous les pouvoirs : truquage d’élections, pratique exacerbée de la corruption, création et protection de bandes paramilitaires semant la terreur dans les quartiers populaires, destruction des institutions publiques, cooptation des affidés des médias traditionnels, menaces et assassinats contre la presse indépendante et les organismes sociaux critiques, répression des protestations de rue.

Pour contrecarrer les manifestations populaires, le régime distribue des armes dans les quartiers populaires, l’objectif évident étant l’extension de la violence armée afin de gouverner par la terreur et le chaos. Il s’agit de créer des zones de « non-droit » pour faire triompher ce que Sprague (2017) appelle le capitalisme paramilitaire à l’intérieur d’une souveraineté criminelle. La Saline est un échantillon.

Depuis que ce pouvoir a été imposé en 2010, les quartiers populaires vivent une situation extrêmement grave. Ils manquent de tout : assainissement, approvisionnement en eau, école, électricité, alimentation. Les gens font face à d’énormes difficultés : environnement dégradé, insécurité, insalubrité, zones de « non-droit », inflation galopante, gabegies administratives, corruption et trafic d’armes, etc.

Concernant ce dernier point, précisons que, selon certaines estimations, le nombre d’armes illégales s’élève aujourd’hui à 300 000 pour un total de soixante-seize gangs actifs sur l’ensemble du territoire. Ainsi les gangs armés occupent une place importante dans la vie sociale et politique haïtienne. Quand un gouvernement assassine ou fait assassiner une partie de la population, on rentre dans une logique de guerre. C’est pourtant ce qui s’est passé à la Saline.

Dans ce quartier, des dizaines de gens ont été assassinés, leurs corps livrés en pâture aux animaux, effaçant toutes traces. Comment comprendre cette indifférence monstrueuse de la part de soi-disant élites ? Comment expliquer le silence complice et amusé des bien-pensants ? Aucune nation digne de ce nom n’aurait accepté qu’un représentant du Président de la République reste au pouvoir alors qu’il est soupçonné dans de tels actes d’atrocités. Néanmoins, il importe de comprendre les causes profondes de ce massacre et s’interroger sur le sens de la politique en Haïti. Est-il encore possible de faire de la politique alors que l’État est dirigé par des criminels ? C’est à ce stade qu’intervient la réflexion métapolitique.

  1. Brèves considérations sur le concept de métapolitique

Le concept de métapolitique, dans le sens où le philosophe Alain Badiou (1998) le définit, consiste à considérer « les politiques réelles comme des pensées ». Tout en tenant compte de ce concept, notre objectif est d’analyser certains éléments de la réalité sociale haïtienne qui peuvent expliquer ce qui se passe dans les quartiers populaires. Il s’agit aussi d’un éclairage sur ce qui risque de se produire dans un avenir proche si rien n’est fait.

L’analyse métapolitique des événements récents dévoile un imaginaire collectif imprégné par l’idéologie d’apartheid, d’idées véhiculées par des “intellectuels organiques” de l’ordre hiérarchique. Idéologie qui sert à justifier les politiques de l’extrême-droite. La métapolitique se situe hors des actions politiques. Elle intervient dans l’idéologique et le culturel. Elle élabore une conception du monde qui facilite la prise du pouvoir politique.

En somme, l’analyse métapolitique rend compte de l’importance des idées dans la domination sociale. Ainsi, la concentration médiatique et le journalisme divertissant participent de cette logique. Utilisant l’humour, les médias dominants banalisent les idées réactionnaires et conservatrices.

Les médias traditionnels soutiennent l’idée selon laquelle seuls les riches ont droit au pouvoir et aux privilèges. Prétextant l’humour, des émissions populaires ne cessent de justifier l’inégalité et ridiculiser le mode de vie des pauvres.

Concernant le massacre de La Saline, un délégué départemental, M. Duplan1, y a reconnu implicitement son implication. De plus, M. Duplan incitait les policiers et des bandits à sa solde de continuer impunément à tuer et accusait les organisations des droits humains de bloquer leur travail. En fait, il donnait aux policiers ripoux le droit de tuer en toute impunité.

Si le bloc au pouvoir considère la vie des gens des quartiers populaires comme des « non-vies » parce qu’ils sont assignés à une vie invivable, c’est la structure sociale d’apartheid qui explique le massacre de ces populations. L’analyse métapolitique permet d’appréhender les éléments explicatifs du mépris de la population. Ce que dissimule ce mépris du populaire c’est la peur de la puissance du peuple, sa crainte et la volonté de réduire ce peuple à sa plus simple expression.

En guise de conclusion

La principale cible de l’actuel bloc au pouvoir, ce sont les quartiers populaires, là où vivent des femmes et des hommes que l’on voudrait assujettir, mais qui souvent se dressent et se redressent, avec fierté, avec beauté, pour réclamer leur part de bonheur, de dignité. Cette population veut l’émancipation, C’est-à-dire : liberté, dignité, bien-être. Ce qui fait la particularité du régime Tèt Kale, c’est l’utilisation de la violence comme principale stratégie de la gestion du pouvoir. Aucun investissement n’a été consenti pour améliorer ni les conditions de la population ni sa qualité de vie.

Au moment où nous achevons cet article, les groupes armés proches du pouvoir ont frappé le quartier historique et populaire du Bel Air. Dirigés par un certain Jimmy Cherizier, un allier de Duplan, les bandits ont assassiné au moins une quinzaine de personnes, incendié une vingtaine de maisons et des voitures, sèment la terreur, forçant la population à fuir. Un fait de plus prouvant que ce gouvernement est en guerre contre la population. On ne peut parler de guerre de basse intensité, il s’agit d’une guerre ouverte contre un peuple revendiquant ses droits.

Notes

1- Enseignant-chercheur, philosophe et militant pour un projet de gauche révolutionnaire radicale.

2- Installé en 2004, le Core Group, composé de la Représentante spéciale du Secrétaire général de l’ONU, des Ambassadeurs d’Allemagne, du Brésil, du Canada, d’Espagne, des États-Unis d’Amérique, de France, de l’Union Européenne et du Représentant spécial de l’Organisation des États Américains, n’a aucune existence juridique.

3- Selon les rumeurs, M. Duplan serait en possession d’un passeport canadien et serait protégé en Haïti par le Gouvernement du Canada.

Haïti: 21 personnes auraient été massacrées à La Saline.

Lorsqu’un camion de police transportant des hommes en uniforme est arrivé dans un quartier pauvre de la capitale haïtienne, les habitants ont pensé qu’il s’agissait d’une opération officielle.

Peut-être que la police essayait enfin de mettre fin à la guerre entre les gangs qui gèrent des rackets de protection sur le marché à côté de la vaste collection de baraques de fortune et de logements sociaux.

Puis les hommes ont ouvert le feu. Rejoints par des membres de gang locaux vêtus de noir, ils sont allés de maison en maison avec des armes d’épaule et des machettes, entraînant des personnes non armées dans des ruelles étroites et les tuant d’un coup ou à coups de machette, ont raconté des témoins à The Associated Press.

« Quand je les ai vus, je pensais qu’ils assuraient la sécurité, mais j’ai alors réalisé qu’ils tiraient sur la population, a déclaré Marie-Lourdes Corestan, une résidente de 55 ans. Ils tiraient et je courais pour sauver ma vie. »

Des témoins, un groupe de défense des droits de la personne et une organisation caritative catholique qui ont ramassé les corps après le massacre du 13 novembre ont déclaré à The Associated Press qu’au moins 21 hommes avaient été tués en l’espace de 24 heures dans le quartier de La Saline.

Certains résidants et groupes locaux de défense des droits ont déclaré que les assassins étaient des membres de gangs travaillant avec des policiers corrompus pour s’emparer d’un territoire, dans le cadre de la guerre de gangs de La Saline. Mais d’autres accusent le gouvernement haïtien d’avoir orchestré le massacre afin de parer aux manifestations anti-corruption qui commencent souvent dans le quartier, un bastion de l’opposition.

Des milliers de personnes vivent à La Saline et plusieurs travaillent au marché voisin qui s’étend sur plus d’un kilomètre et où les vendeurs vendent de tout, des produits acheminés par camion de la campagne aux vêtements d’occasion importés du sud de la Floride.

Les résidants vivent dans des maisons de blocs de ciment avec des toits en tôle, dont plusieurs sont à peine assez grandes pour contenir un seul matelas. Ils font la cuisine au-dessus des feux dans les allées si étroites que deux personnes ne peuvent passer sans se toucher les épaules.

Des gangs de jeunes hommes armés contrôlent le quartier, sortant souvent des pistolets pour résoudre les querelles locales. Les principaux revenus des gangs proviennent des primes de protection versées par les vendeurs du marché et les importateurs soucieux de maintenir ouverte la route menant à un port voisin, faisant du contrôle de La Saline un atout précieux.

Des gangs armés ont acheté ou volé des quantités indicibles de matériel de police haïtien ces dernières années, de sorte que le degré d’implication officielle dans le massacre de La Saline est impossible à déterminer.

Le chef de la police nationale, Michel-Ange Gédéon, a assuré qu’une enquête sur les meurtres laissait deviner une querelle entre gangs, et qu’il avait suspendu deux officiers accusés par des groupes locaux de défense des droits civils d’être impliqués dans le massacre.

« Si des policiers sont impliqués dans des gangs, nous allons les licencier, a-t-il promis. S’ils sont impliqués dans des violations des droits de la personne, nous les traduirons en justice. »

Un des officiers, Grégory Antoine, a été abattu la semaine dernière lors d’un crime imputé à des gangsters rivaux, ont déclaré des membres de la famille à une station de radio locale.

Le bureau du président Jovenel Moïse n’a pas répondu aux demandes de commentaires de AP.

Joël Noël, un homme de 28 ans qui se décrit comme un dirigeant de la communauté, a expliqué que les hommes armés étaient arrivés dans un camion portant l’insigne d’une unité de police tactique spéciale formée par l’ONU et créée sous l’ancien président Michel Martelly, un allié de M. Moïse.

Mme Corestan a ajouté que certains portaient des masques de ski et des machettes quand ils sont descendus dans le quartier à 15 heures.

Elle a dit avoir couru pour sa vie quand l’attaque a commencé, laissant derrière elle son fils, Édaud-Pierre, âgé de 24 ans, un musicien qui n’était pas armé et qui, selon les voisins, a été tué de sang-froid.

Il y a deux postes de police à La Saline et dans les environs, mais des témoins ont affirmé que ni l’un ni l’autre n’avait envoyé de policiers pour intervenir.

  1. Gédéon, le chef de la police, a assuré que les policiers étaient arrivés après la tombée de la nuit et avaient encerclé la zone, mais qu’ils ne pouvaient pas se déplacer car il faisait nuit. La police a depuis procédé à une arrestation dans cette affaire, a-t-il dit.

Morelle Lendor, une vendeuse de rue de 33 ans, a déclaré qu’elle se cachait dans sa baraque avec un homme qu’elle connaissait sous le nom de Wuanito lorsque deux hommes ont frappé à la porte.

Elle les a reconnus en tant que membres de gangs d’un quartier voisin, vêtus d’uniformes noirs non marqués, d’une casquette noire et portant des armes d’épaule.

Elle a ajouté qu’ils avaient saisi Wuanito, qui n’était pas armé, et l’avaient tué d’un seul coup. Trois semaines plus tard, la tache de sang restait visible sur le mur de sa cabane.

Une autre résidente, Miliana Louis, a dit que son fils de 22 ans, James, avait été tué à coups de machette.

« La majorité des personnes décédées étaient des innocents », a dit Raphaël Louigène, un travailleur social à la Fondation St-Luc, une organisation caritative catholique oeuvrant dans les bidonvilles de Port-au-Prince.

 Il a déclaré que lui et deux membres du clergé avaient ramassé les restes de 21 hommes dans les rues de La Saline dans les jours qui ont suivi le massacre, alors que ni la police ni les autorités judiciaires ne voulaient entrer dans le quartier. Il a ajouté que les victimes avaient été blessées par balle ou à coups de machettes et que seuls huit corps complets avaient été retrouvés, car la plupart avaient été brûlés ou donnés à des porcs.

Les résidants ont déclaré qu’au moins une femme aurait également fait partie des victimes. Bélande Louis, 33 ans, a dit que sa soeur Sandra, âgée de 28 ans, avait disparu le 13 novembre. Des voisins ont déclaré qu’elle avait été tuée par des hommes armés de machettes.

  1. Louigène a déclaré que le massacre semblait résulter d’une lutte pour le droit d’extorquer de l’argent à des marchands du marché après qu’un gang en eut chassé un autre.

« Le groupe qui a été expulsé est revenu en quête de vengeance, a expliqué M. Louigène. La police n’a pas les moyens d’affronter les gars des gangs. »

Pour certains à La Saline, l’explication est plus sinistre.

Plusieurs dénoncent le refus du président Moïse de faire la lumière sur des allégations selon lesquelles son allié, l’ancien président Martelly, aurait détourné plus de 2 milliards $ US provenant d’un programme vénézuélien fournissant au gouvernement haïtien le pétrole fortement réduit qu’il revendait à un profit considérable.

La Saline est depuis longtemps un lieu de rassemblement pour les manifestations antigouvernementales et le massacre a eu lieu quatre jours avant les manifestations nationales planifiées depuis longtemps contre les accusations de corruption.

Certains résidants et groupes locaux de défense des droits ont accusé des responsables du gouvernement haïtien d’avoir orchestré l’attaque perpétrée par un gang rival afin d’intimider les habitants de La Saline et d’empêcher les manifestations.

« C’est un combat politique, a déclaré M. Noël, le dirigeant local. Après avoir pris le contrôle de la région, ils sont allés chez des gens, les ont emmenés et les ont exécutés. »