Le géant français des médias Vivendi a annoncé avoir signé ce mardi 31 décembre un accord pour vendre 10 % du capital de sa filiale Universal Music Group (UMG) à un consortium mené par le mastodonte chinois de l’internet Tencent. Coût de la transaction : 3 milliards d’euros. Un succès pour la Chine alors que ses investissements à l’étranger sont au plus bas.

Les Beatles, les Rolling Stones ou Rihanna. En prenant une part du capital d’Universal Music, Tencent s’invite au cœur de l’industrie mondiale de la musique. Universal fait partie des trois grandes majors, avec Sony et la Warner, qui dominent ce marché.

La transaction est titanesque car Tencent est l’un des « BATX », le GAFA chinois, avec le moteur de recherche Baidu, le colosse de l’e-commerce Alibaba et le constructeur de smartphones Xiaomi. Tencent, c’est aussi le propriétaire de WeChat, ce réseau social qui écrase le Net en Chine avec son milliard d’utilisateurs, son vaste écosystème combinant un service de messagerie, un fil d’actualité, un réseau social et un service de paiement. Sans oublier la présence massive de Tencent dans les jeux vidéo en ligne, les films et le divertissement en général.

Choix stratégique

Loin d’être hasardeux, le choix est stratégique : la firme basée à Shenzhen est déjà liée à Universal par des accords de distribution. D’autant que Vivendi est l’un des actionnaires de Tencent Music. Depuis 2017, la très populaire plateforme de musique en ligne du géant chinois est autorisée à distribuer la musique d’Universal en streaming.

L’entrée de Tencent au capital pourrait donc permettre à Universal d’accroître sa présence numérique et ses revenus dans un marché chinois en plein essor et plus largement dans les pays d’Asie. « Vivendi se réjouit de l’arrivée de Tencent et de ses co-investisseurs, qui permettra un plus grand développement sur le marché asiatique », souligne ce mardi le communiqué du conglomérat dirigé par Vincent Bolloré.

De son côté, en devenant actionnaire d’Universal, Tencent compte bien prendre le dessus sur ses concurrents chinois, dont ByteDance et son réseau social, ses sites de partages de vidéo et de musiques comme Toutiao et TikTok.

Tencent aurait pu rater le deal

C’est par le biais d’un consortium que Tencent est parvenu à un deal avec Universal. L’opération, conduite « sur la base d’une valeur d’entreprise de 30 milliards d’euros pour 100 % du capital d’UMG » devrait être finalisée d’ici mi-2020 sous réserve d’un feu vert réglementaire, précise Vivendi.

Mais les 10 % vendus ne signent pas la fin de l’affaire. Tencent pourrait par la suite posséder 20 % d’Universal, voire davantage. En effet, le même consortium formé par le géant chinois avec « certains investisseurs financiers internationaux » non nommés, dispose désormais d’une option d’achat d’un an jusqu’au 15 janvier 2021 pour acquérir une participation supplémentaire de 10 % de la « major du disque » sur la même base de prix.

Vivendi avait annoncé dès juillet 2018 son intention de céder jusqu’à 50 % du capital d’Universal. Le groupe français disait alors rechercher « un ou plusieurs partenaires stratégiques ». C’est en août dernier que des négociations avec Tencent se sont engagées. Mais la firme chinoise a eu bien du mal à réunir l’argent nécessaire à la transaction, laissant un temps croire à un échec probable. En novembre, les fonds d’investissement américains KKR et Hellman & Friedman se sont en effet retirés des négociations. Ce serait finalement le fonds souverain singapourien GIC qui aurait « sauvé le deal » avec la société d’investissement asiatique Hillhouse Capital.

Un « coup » sur fond de sinistrose de l’investissement chinois à l’étranger

Très attendu en Chine, ce deal ne manquera pas de redonner le moral aux investisseurs dans l’empire du milieu. Très loin de « racheter le monde » selon un cliché répandu, ils ont terminé 2019 au plus bas niveau en dix ans pour les fusions et acquisitions à l’étranger.

Certes, entre 2010 et 2018, la Chine a été le troisième investisseur à l’étranger, derrière l’Amérique et le Japon. Mais après avoir atteint 178 milliards de dollars en 2016, ses investissements ont dégringolé de 128 milliards en 2018 à 50 milliards au premier semestre 2019. En particulier, ils se sont effondrés aux États-Unis, chutant de 54 milliards de dollars en 2017 à 2,5 milliards dans les six premiers mois de 2019. De même en Europe, ils se sont écroulés de 80 % en 2019.

La guerre commerciale avec Washington et les réticences européennes face à la boulimie des investisseurs chinois ne sont pas seules en cause. Pékin a violemment appuyé sur le frein pour limiter la fuite des capitaux. D’où un certain nombre de désinvestissements, à l’image de l’aéroport de Toulouse-Blagnac, officiellement revendu par le Chinois Casil à Eiffage ce lundi 30 décembre. Par contraste, la réussite de Tencent avec Universal marque l’un des plus gros investissements d’une compagnie chinoise dans une firme européenne majeure.