Lorsqu’un camion de police transportant des hommes en uniforme est arrivé dans un quartier pauvre de la capitale haïtienne, les habitants ont pensé qu’il s’agissait d’une opération officielle.
Peut-être que la police essayait enfin de mettre fin à la guerre entre les gangs qui gèrent des rackets de protection sur le marché à côté de la vaste collection de baraques de fortune et de logements sociaux.
Puis les hommes ont ouvert le feu. Rejoints par des membres de gang locaux vêtus de noir, ils sont allés de maison en maison avec des armes d’épaule et des machettes, entraînant des personnes non armées dans des ruelles étroites et les tuant d’un coup ou à coups de machette, ont raconté des témoins à The Associated Press.
Quand je les ai vus, je pensais qu’ils assuraient la sécurité, mais j’ai alors réalisé qu’ils tiraient sur la population, a déclaré Marie-Lourdes Corestan, une résidente de 55 ans. Ils tiraient et je courais pour sauver ma vie. »
Des témoins, un groupe de défense des droits de la personne et une organisation caritative catholique qui ont ramassé les corps après le massacre du 13 novembre ont déclaré à The Associated Press qu’au moins 21 hommes avaient été tués en l’espace de 24 heures dans le quartier de La Saline.
Certains résidants et groupes locaux de défense des droits ont déclaré que les assassins étaient des membres de gangs travaillant avec des policiers corrompus pour s’emparer d’un territoire, dans le cadre de la guerre de gangs de La Saline. Mais d’autres accusent le gouvernement haïtien d’avoir orchestré le massacre afin de parer aux manifestations anti-corruption qui commencent souvent dans le quartier, un bastion de l’opposition.
Des milliers de personnes vivent à La Saline et plusieurs travaillent au marché voisin qui s’étend sur plus d’un kilomètre et où les vendeurs vendent de tout, des produits acheminés par camion de la campagne aux vêtements d’occasion importés du sud de la Floride.
Les résidants vivent dans des maisons de blocs de ciment avec des toits en tôle, dont plusieurs sont à peine assez grandes pour contenir un seul matelas. Ils font la cuisine au-dessus des feux dans les allées si étroites que deux personnes ne peuvent passer sans se toucher les épaules.
Des gangs de jeunes hommes armés contrôlent le quartier, sortant souvent des pistolets pour résoudre les querelles locales. Les principaux revenus des gangs proviennent des primes de protection versées par les vendeurs du marché et les importateurs soucieux de maintenir ouverte la route menant à un port voisin, faisant du contrôle de La Saline un atout précieux.
Des gangs armés ont acheté ou volé des quantités indicibles de matériel de police haïtien ces dernières années, de sorte que le degré d’implication officielle dans le massacre de La Saline est impossible à déterminer.
Le chef de la police nationale, Michel-Ange Gédéon, a assuré qu’une enquête sur les meurtres laissait deviner une querelle entre gangs, et qu’il avait suspendu deux officiers accusés par des groupes locaux de défense des droits civils d’être impliqués dans le massacre.
« Si des policiers sont impliqués dans des gangs, nous allons les licencier, a-t-il promis. S’ils sont impliqués dans des violations des droits de la personne, nous les traduirons en justice. »
Un des officiers, Grégory Antoine, a été abattu la semaine dernière lors d’un crime imputé à des gangsters rivaux, ont déclaré des membres de la famille à une station de radio locale.
Le bureau du président Jovenel Moïse n’a pas répondu aux demandes de commentaires de AP.
Joël Noël, un homme de 28 ans qui se décrit comme un dirigeant de la communauté, a expliqué que les hommes armés étaient arrivés dans un camion portant l’insigne d’une unité de police tactique spéciale formée par l’ONU et créée sous l’ancien président Michel Martelly, un allié de M. Moïse.
Mme Corestan a ajouté que certains portaient des masques de ski et des machettes quand ils sont descendus dans le quartier à 15 heures.
Elle a dit avoir couru pour sa vie quand l’attaque a commencé, laissant derrière elle son fils, Édaud-Pierre, âgé de 24 ans, un musicien qui n’était pas armé et qui, selon les voisins, a été tué de sang-froid.
Il y a deux postes de police à La Saline et dans les environs, mais des témoins ont affirmé que ni l’un ni l’autre n’avait envoyé de policiers pour intervenir.
M. Gédéon, le chef de la police, a assuré que les policiers étaient arrivés après la tombée de la nuit et avaient encerclé la zone, mais qu’ils ne pouvaient pas se déplacer car il faisait nuit. La police a depuis procédé à une arrestation dans cette affaire, a-t-il dit.
Morelle Lendor, une vendeuse de rue de 33 ans, a déclaré qu’elle se cachait dans sa baraque avec un homme qu’elle connaissait sous le nom de Wuanito lorsque deux hommes ont frappé à la porte.
Elle les a reconnus en tant que membres de gangs d’un quartier voisin, vêtus d’uniformes noirs non marqués, d’une casquette noire et portant des armes d’épaule.
Elle a ajouté qu’ils avaient saisi Wuanito, qui n’était pas armé, et l’avaient tué d’un seul coup. Trois semaines plus tard, la tache de sang restait visible sur le mur de sa cabane.
Une autre résidente, Miliana Louis, a dit que son fils de 22 ans, James, avait été tué à coups de machette.
« La majorité des personnes décédées étaient des innocents », a dit Raphaël Louigène, un travailleur social à la Fondation St-Luc, une organisation caritative catholique oeuvrant dans les bidonvilles de Port-au-Prince.
Il a déclaré que lui et deux membres du clergé avaient ramassé les restes de 21 hommes dans les rues de La Saline dans les jours qui ont suivi le massacre, alors que ni la police ni les autorités judiciaires ne voulaient entrer dans le quartier. Il a ajouté que les victimes avaient été blessées par balle ou à coups de machettes et que seuls huit corps complets avaient été retrouvés, car la plupart avaient été brûlés ou donnés à des porcs.
Les résidants ont déclaré qu’au moins une femme aurait également fait partie des victimes. Bélande Louis, 33 ans, a dit que sa soeur Sandra, âgée de 28 ans, avait disparu le 13 novembre. Des voisins ont déclaré qu’elle avait été tuée par des hommes armés de machettes.
M. Louigène a déclaré que le massacre semblait résulter d’une lutte pour le droit d’extorquer de l’argent à des marchands du marché après qu’un gang en eut chassé un autre.
« Le groupe qui a été expulsé est revenu en quête de vengeance, a expliqué M. Louigène. La police n’a pas les moyens d’affronter les gars des gangs. »
Pour certains à La Saline, l’explication est plus sinistre.
Plusieurs dénoncent le refus du président Moïse de faire la lumière sur des allégations selon lesquelles son allié, l’ancien président Martelly, aurait détourné plus de 2 milliards $ US provenant d’un programme vénézuélien fournissant au gouvernement haïtien le pétrole fortement réduit qu’il revendait à un profit considérable.
La Saline est depuis longtemps un lieu de rassemblement pour les manifestations antigouvernementales et le massacre a eu lieu quatre jours avant les manifestations nationales planifiées depuis longtemps contre les accusations de corruption.
Certains résidants et groupes locaux de défense des droits ont accusé des responsables du gouvernement haïtien d’avoir orchestré l’attaque perpétrée par un gang rival afin d’intimider les habitants de La Saline et d’empêcher les manifestations.
« C’est un combat politique, a déclaré M. Noël, le dirigeant local. Après avoir pris le contrôle de la région, ils sont allés chez des gens, les ont emmenés et les ont exécutés. »
Michael Weissenstein – Associated Press à Port-au-Prince
15 janvier 2019
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