Alex Rosier est désespéré, assis sur le bord de la digue qui mène du côté américain du fleuve Rio Grande. Dans le camp de Del Rio depuis mercredi, il était sorti ce samedi 18 septembre pour chercher à manger. Et il a appris que, face à l’afflux des migrants d’Haïti, les États-Unis allaient reprendre les expulsions vers son pays : « La déportation, j’en veux pas. Ce n’est pas pour moi. Si je suis déporté, je vais mourir. Haïti, c’est fini. On tue le président, les brigands sont au pouvoir. Imaginez ! »

Ce maçon laisse sa femme et sa fille de l’autre côté du Rio Grande, dans le camp de Del Rio. Il hésite à retourner au Brésil, où il vivait depuis 2013. Il ne s’est pas encore décidé.

 Devant le fleuve, comme lui, Mamouna Ismaël est en colère. Elle a traversé huit pays pour arriver là. Elle s’était arrêtée deux ans au Chili avant de décider, il y a deux mois, de monter vers le Texas : « On a peur de traverser. Si on y va, ils vont nous déporter vers Haïti. Donc, ça ne sert à rien de traverser. On a peur. »

Ils sont nombreux à faire ce choix : rester à Ciudad Acuña, au Mexique. C’est le cas de Judson Auguste, qui s’est aussi fait une raison : « Bon, on est obligé de rester ici. Donc, on va chercher un travail. On pourra retenter si les États-Unis rouvrent leur frontière. On ira. » Très présent sur des groupes WhatsApp, il va prévenir les autres migrants haïtiens que cela ne sert à rien de se presser désormais pour arriver au Nord du Mexique.

 Le maire démocrate de la ville, Bruno Lozano, et l’élu républicain August Pfluger, représentant à Washington du 11e District du Texas, ont tenu une conférence de presse commune samedi. August Pfluger s’est adressé directement à Joe Biden et a déploré « que le président et son administration n’aient pas pu prévoir » cette situation.

« Président Biden, si vous écoutez, on a besoin que vous disiez à tous les pays du monde que cette frontière est fermée. (…) Les politiques mises en place en 2019 et 2020 (sous Donald Trump) doivent être remises en place. (…) Fermez la frontière et faites votre travail. »

Plus de 29 000 Haïtiens sont arrivés ces derniers mois le long de la frontière du Mexique pour tenter d’entrer  aux  États-Unis

La frontière sud du Mexique continue d’être un point de chute pour de nombreux Haïtiens qui souhaitent poursuivre leur passage vers les États-Unis en provenance du Brésil ou du Chili, dans une ultime tentative désespérée d’échapper à l’instabilité politique, économique et sociale chronique sévissant en Haïti. Jeudi 16 septembre 2021, plus de 10 000 migrants, pour la plupart haïtiens, étaient entassés sous un pont à la frontière sud du Texas en attente de traitement de leur dossier par les autorités migratoires américaines.

Pour faire face à cet afflux massif de migrants, la douane américaine et la protection des frontières (CBP) ont annoncé qu’elles allaient  envoyer des agents supplémentaires.

Plus de 29 000 Haïtiens sont arrivés le long de la frontière du Mexique avec les Etats-Unis au cours des 11 derniers mois, y compris des familles de nationalités mixtes qui ont eu des enfants nés dans des pays d’Amérique du Sud comme le Brésil ou le Chili, indiquent des statistiques communiquées récemment par les autorités frontalières américaines.

Jeudi soir, dans un de ses tweets, dans lequel il demande l’aide des responsables fédéraux, le maire de Del Rio, Bruno Lozano, dit avoir dénombré sous le pont  un total de 10 503 migrants.

Les élus républicains ont profité de cet afflux pour condamner la gestion de l’administration Biden responsable, selon eux, de l’augmentation du nombre de migrants à la frontière sud au cours de l’année écoulée.

Une situation qui préoccupe au plus au haut niveau le Mexique, à un point tel que le président des Etats-Unis du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, en conférence de presse le mercredi 8 septembre 2021, a annoncé sa volonté d’aborder cette question avec le gouvernement américain, dans le cadre de la visite à Washington de son ministre des Affaires étrangères, Marcelo Ebrard.

L’administration Biden pour sa part a déclaré qu’elle garde le cap en continuant avec l’expulsion des migrants en vertu du titre 42 du code de la santé publique de l’ère du coronavirus. Véritable levée de bouclier chez les défenseurs des droits de l’homme qui critiquent la décision de la Maison Blanche de reprendre les vols de rapatriement vers Haïti au milieu des catastrophes politiques, économiques et environnementales en cours dans le pays.

Mercredi, l’Immigration and Customs Enforcement (ICE) a procédé à l’expulsion de 86 ressortissants haïtiens des États-Unis et les a ramenés en Haïti par avion.

 « Nous sommes totalement incrédules que l’administration Biden puisse expulser les Haïtiens maintenant. Quelques heures après le séisme de magnitude 7,2, le président Joe Biden a publié une déclaration disant que les États-Unis étaient un « ami » d’Haïti. Un « ami » n’inflige pas continuellement de la douleur à un autre ami », a déclaré Guerline Jozef, co-fondatrice et directrice exécutive de Haitian Bridge Alliance.

Ce vol de rapatriements survient un mois après un séisme et une tempête dévastateurs qui ont fait plus de 2 200 morts haïtiens, blessé 12 000 personnes, endommagé ou détruit 120 000 maisons et déplacé des centaines de milliers de personnes. Quelques semaines plus tôt, le DHS avait désigné Haïti pour le statut de protection temporaire (TPS), un programme qui suspend les expulsions vers les pays qui ont été touchés par des catastrophes naturelles ou causées par l’homme.

On estime à environ 150 000 Haïtiens aux États-Unis éligibles à la protection contre l’expulsion personnes, alors que des dizaines de milliers de migrants sont stationnés au Mexique ou ont récemment traversé la frontière après la date d’éligibilité aux prestations TPS.

Les migrants expulsés en vertu du titre 42 sont rapatriés dans leur pays d’origine sans possibilité de demander l’asile en vertu des directives des Centers for Disease Control and Prevention (CDC) liées à la pandémie de coronavirus.

Les Haïtiens soumis au titre 42 sont pour la plupart des personnes qui ont récemment traversé la frontière américano-mexicaine, et beaucoup ont passé des mois à voyager à travers l’Amérique latine et à attendre l’occasion de demander l’asile dans les villes frontalières mexicaines, principalement Tijuana.

Un facteur qui entre en ligne de compte dans cette décision est le pays d’origine du ressortissant étranger.

Alors que les migrants du Honduras, du Guatemala et d’El Salvador peuvent être renvoyés au Mexique, où ils peuvent demander l’asile aux points d’entrée américains, les autorités mexicaines n’accepteront pas le retour de ressortissants d’autres pays.

En ce sens, c’est la politique du gouvernement mexicain qui dicte qui est autorisé à demander l’asile aux États-Unis et qui est soumis aux expulsions du titre 42.

Les avocats disent que la mise en œuvre du Titre 42 pour les migrants haïtiens montre la cruauté d’une part et un double standard de l’autre.

Le mois dernier, 433 groupes de défense des droits des migrants ont appelé l’administration Biden à suspendre les expulsions vers Haïti, compte tenu des conditions dans le pays.