Comme chaque année depuis 23 ans, le cabinet d’audit PwC publie, en amont de la réunion annuelle du forum de Davos, une étude très attendue, le CEO Survey, qui scrute le moral des grands patrons de multinationales. Et pour cette 50e édition du Forum économique mondial (WEF), le pessimisme est de mise, au point de faire craindre une nouvelle crise. Décryptage avec Bernard Gainnier, président de PwC France et Afrique francophone. Il répond aux questions de nos confrères de RFI.
Pour la deuxième année consécutive, votre étude montre un pessimisme accru des dirigeants des grandes entreprises. Faut-il s’en inquiéter ?
Bernard Gainnier : La pente de pessimisme s’accroit en effet très largement puisque la confiance des patrons de multinationales dans l’économie mondiale a fortement chuté. Ils ne sont plus que 22% à croire que la croissance va s’améliorer dans les prochains mois contre 57% en 2018. Un pessimisme qui se reflète sur leur activité puisque leur confiance dans une amélioration de leur chiffre d’affaires est passée de 42% à 27%. Des données qui questionnent forcément. Sommes-nous face à une crise qui est en train d’émerger ? Il faut bien se rendre compte que ces taux de pessimisme sont similaires à ceux que nous avions à la veille de la crise financière de 2008. Est-ce qu’un phénomène particulier va se produire et nous conduire à une crise, ou pas ?
Notre hypothèse à PwC, que je partage personnellement, c’est que nous entrons dans une nouvelle ère. Nous sommes dans une situation économique mondiale qui est tout à fait nouvelle. Les prévisions de croissance stagnent autour de 3-4%, comme c’est le cas depuis à peu près dix ans, et les chefs d’entreprises sont préoccupés par leur capacité à analyser ce qui va se passer, et cela en raison de plusieurs facteurs. À commencer par les évolutions technologiques qui s’accélèrent et qui sont très difficiles à maitriser, avec certes des menaces, mais aussi des opportunités. Il y a les inégalités sociales et de redistribution et enfin l’urgence climatique. Ces trois facteurs remettent en cause fondamentalement la vision qu’ont les chefs d’entreprises de leur futur, de la façon dont ils doivent s’adapter dans un contexte d’urgence puisque la demande sociale évolue très vite et elle peut être puissante comme on l’a vue en France ces derniers mois.
Qu’est-ce qui inquiète le plus les grands patrons ?
Ce qui continue à les préoccuper en premier lieu, c’est la surrégulation. C’est une constante. Il y a ensuite des phénomènes que l’on a vus apparaitre il y a 3-4 ans et qui sont liés à des questions de géopolitiques, de conflits commerciaux, de montée des populismes. Ces phénomènes les inquiètent beaucoup plus qu’il y a cinq ans. Et puis on voit apparaitre cette problématique fondamentale de la confiance dans le futur dont je viens de parler avec cette incertitude, cette volatilité de la situation économique qui apparait aujourd’hui comme l’un des principaux facteurs de frein à la croissance.
En revanche, ce qui est surprenant dans l’étude, et alors que l’on parle d’urgence climatique, l’environnement n’est pas dans les dix premiers facteurs de frein à la croissance. On peut légitimement se demander si leur prise de conscience face à l’urgence climatique est réelle. À moins que cela ne reflète leur incapacité à y faire face.
Les investissements ne risquent-ils pas d’en pâtir ?
L’économie est fondée sur la confiance. C’est le facteur clé de la croissance. Lorsque des chefs d’entreprises vous disent que l’incertitude économique progresse pour passer du 13e au 5e rang de leurs préoccupations en un an, on se dit qu’ils vont moins investir, être encore plus attentistes qu’ils ne l’étaient déjà. Ce qui malheureusement va conduire à une baisse de la croissance par construction.
Dans ce paysage économique très incertain, les patrons français semblent moins pessimistes que leurs collègues britanniques ou américains alors que la crise des « gilets jaunes » ou le conflit sur les retraites qui s’enlise auraient pu laisser penser l’inverse.
Je dirais que c’est un peu une caractéristique des patrons français de toujours avoir une vue plutôt positive en ce qui concerne leur activité alors qu’ils se plaignent beaucoup de leur environnement. Quand on regarde les chiffres, pour eux-mêmes, ils sont plus positifs que leurs collègues dans le monde entier, et sur l’environnement ils sont plus négatifs. Je dirais « qu’ils râlent ». Aujourd’hui, les entreprises françaises, quand elles ont un impact à l’international, savent naviguer dans un environnement incertain. Ce qui n’était pas forcément le cas, il y a dix ou quinze ans.
Plus largement, quand on regarde l’étude, on note que les Chinois sont extrêmement positifs. C’est le pays qui affiche une confiance extrêmement forte dans l’avenir, très loin devant la France et les autres pays. Autre constat, des pays comme le Royaume-Uni ou l’Allemagne sont plus en retrait pour des raisons assez différentes. Le Royaume-Uni pour le Brexit et sa position dans le monde qu’il va falloir définir. Et l’Allemagne parce que ses fondamentaux économiques basés sur l’exportation de biens d’équipements ont été remis en cause par les conflits commerciaux.
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