C’était il y a 20 ans. Le passage à l’an 2000 soulevait peurs, fantasmes et autres prophéties catastrophiques, principalement sous prétexte de changement de millénaire. Retour sur un « drame » attendu et qui ne se s’est pas produit.
La catastrophe était annoncée pour le samedi 1er janvier 2000 à minuit. Les avions allaient s’écraser, les centrales électriques seraient stoppées net, les missiles nucléaires exploseraient dans leurs silos et à peu près plus rien qui soit soumis à un système informatique ne fonctionnerait. Cités par le magazine Forbes dans un article publié en 1998, des survivalistes américains avaient prévenu : « Quand l’horloge affichera 2000, le pays sera à court d’électricité, les trains ne rouleront plus, les banques s’effondreront et des hordes de citadins chercheront de la nourriture ». En France, le ministre de l’Économie et des Finances de l’époque, Dominique Strauss-Kahn, avait déclaré sans rire en novembre 1998 : « Il est de plus en plus probable qu’il n’y aura pas d’avions le 1er janvier 2000 ».
Mais le bug(ou « bogue », en français) de l’an 2000 n’a jamais eu lieu. Une trouille planétaire qui reposait essentiellement sur un changement de deux chiffres : le passage de « 19 » à « 20 » entre 1999 et 2000 qui n’était pas pris en compte par la plupart des matériels et logiciels. Au 1er janvier 2000, les appareils concernés risquaient d’afficher la date du 1er janvier 1900, provoquant de sérieux plantages et dysfonctionnements.
De Nostradamus à Paco Rabanne
Le cap fatidique franchi sans problème majeur, de nombreuses voix s’élevèrent pour de concert dénoncer un grand bluff. En France, le ministère des Finances avait mis en place une cellule spéciale de surveillance lors de la Saint-Sylvestre 1999. Au bout du fil ce soir-là, les agents de Bercy n’ont reçu que des bons vœux pour la nouvelle année. La pensée millénariste, qui rencontrait un écho très favorable à la fin du XXe siècle, a certainement contribué à amplifier l’effet de panique générale, en affirmant que le bug allait ni plus ni moins propulser la civilisation dans un abîme. Des prédictions de Nostradamus évoquant un cataclysme en août 1999 à celles de Paco Rabanne nous promettant que la station spatiale Mir nous tomberait sur la tête, en passant par les rafales de la tempête Lothar qui déferla sur la France le 26 décembre 1999, la dernière année avant l’an 2000 n’avait pas été de tout repos !
Le « Y2K » (Y pour year, 2K pour 2000), selon la dénomination anglo-saxonne, n’était en fait pas un bug à proprement parler, mais une erreur de conception systémique. Dans les années 1960, la mémoire et l’entreposage des données étaient faits sur des cartes perforées et les langages de programmation de cette époque traitaient les nombres comme du texte ordinaire. Résultat, les programmeurs codaient les années sur deux chiffres seulement.
Peurs ancestrales
Et si aucun incident notable n’a été relevé le 1er janvier 2000, c’est peut-être aussi parce que quelque 300 milliards de dollars avaient été dépensés en amont par des entreprises dans le monde entier pour réviser les architectures informatiques. En France, le Crédit agricole a déboursé près de 140 millions d’euros, tandis que France Télécom, aujourd’hui rebaptisé Orange, avait consacré 160 millions d’euros. Et pour la petite histoire, la SNCF a même volontairement stoppé l’intégralité de ses trains pendant vingt minutes entre 23h55 et 00h15, par simple principe de précaution, le temps de vérifier que tout fonctionnait.
Un simple changement de chiffre a poussé le monde à croire qu’il entrait dans une nouvelle ère. De quoi réveiller des peurs ancestrales qui, internet aidant, contaminent les esprits comme une traînée de poudre. Un sondage réalisé en juin 1999 par l’institut Ipsos révélait que le bug de l’an 2000 n’était pas la catastrophe annoncée qui suscitait le plus d’inquiétude. Ainsi, la peur numéro 1 exprimée par une majorité de sondés était une guerre qui dégénère en conflit mondial. Seul un quart des sondés disait craindre les conséquences d’un éventuel bug informatique. Si 82% des personnes interrogées affirmaient ne pas craindre les catastrophes annoncées pour le passage à l’an 2000, 18% y attachaient de l’importance, soit plus d’un quart de la population, si l’on veut bien croire au principe de représentativité des sondages.
Détail amusant, le XXe siècle s’est en fait achevé le 31 décembre 2000 et non pas le 31 décembre 1999. Le XXIe siècle a débuté le 1er janvier 2001, car il n’existe pas d’année zéro dans l’ère chrétienne. Mais la confusion entre année en cours et année échue n’a rien changé, et en guise de fin du monde, nous n’avons eu droit qu’à la fin d’un monde.
► LES TUBES DE LA FIN DU MONDE
Il n’y a pas que les couturiers espagnols ou les médecins astrologues pour annoncer pêle-mêle Jugement dernier, explosion de la Terre et autres fins du monde. Prince avait déjà annoncé la couleur avec sa chanson « 1999 », sortie dix-huit ans avant l’an 2000, en 1982, avec des paroles sans équivoque.
« Quand je me suis réveillé ce matin, j’aurais pu jurer que c’était le jour du jugement
Le ciel était tout violet, il y avait des gens qui couraient partout
Disons disons deux mille zéro zéro fête, oops, hors du temps
Donc, ce soir, je vais faire la fête comme si c’était 1999 »
Dans la mesure où l’an 2000 signera la fin des temps, amusons-nous comme si c’était la dernière fois. C’est le thème de la chanson, devenu au fil du temps une expression entrée dans le langage courant : « Party like it’s 1999 ». Une vision millénariste qui reprend de l’ampleur en 1999, justement, à l’approche de la date fatidique. Ainsi, en novembre 1999, Will Smith sortait son deuxième album, baptisé Willenium, clin d’œil à « millenium », le terme anglais employé pour désigner un millénaire. Référence supplémentaire, le titre phare de l’album était intitulé « Will 2K » par analogie avec le bug « Y2K ». Un tube parfaitement dans l’esprit du « 1999 » du natif de Minneapolis, comme en attestent les paroles.
« Que va-t-il arriver ?
Personne ne sait
Nous verrons quand l’horloge indiquera minuit
Le chaos, les flics vont bloquer la rue
Mec, qui se soucie de l’enfer ?
N’arrête pas le rythme »
Quelques mois avant la sortie de l’album de Will Smith, même les boys bandssurfaient sur ce courant millénariste avec les Backstreet Boys et leur album Millenium. Une accroche essentiellement commerciale, dans la mesure où seul le titre de l’album faisait allusion au millénaire.
Du « Hells Bells » d’ACDC (1980) au « Idioteque » de Radiohead (2000) en passant par le « Armagideon Time » des Clash (1979) et le « Until The End Of The World » de U2 (1991), la musique n’a eu de cesse de nous annoncer la fin du monde. Déjà en 1972 dans son album The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars, le jeune David Bowie transcrivait dans la chanson « Five years » un rêve qu’il avait fait sur la fin des temps.
« La nouvelle venait de tomber
La Terre était en train de mourir
Il nous restait cinq ans pour pleurer
Le vendeur de journaux pleurait et nous disait
Que la Terre est vraiment en train de mourir
Il a tant pleuré que son visage était mouillé
Alors j’ai su qu’il ne mentait pas »
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