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Pilier de la démocratie («Être informé, c’est être libre», disait René Lévesque), le journalisme est en crise. Chute du tirage des journaux, diminution des effectifs, fusion de salles de presse, faillites… A-t-on encore besoin de journalistes? C’est la question que soulèvent 21 auteurs réunis dans un collectif intitulé Les journalistes : pour la survie du journalisme sous la direction de Robert Maltais, responsable du Certificat en journalisme de l’Université de Montréal, et de Pierre Cayouette, éditeur chez Québec Amérique et chargé de cours à la Faculté de l’éducation permanente de l’UdeM.

Certains signataires de l’ouvrage sont des vedettes (Yanick Villedieu, de Radio-Canada, Yves Boisvert, de La Presse, Gilbert Lavoie, du Soleil, Alain Saulnier, ancien patron de l’information à Radio-Canada), d’autres sont de nouvelles têtes qui espèrent se faire un nom. «Les réponses qu’ils nous livrent ne sont pas très optimistes», résume Robert Maltais, ancien journaliste professionnel qui se consacre à l’enseignement universitaire depuis six ans. Pour lui, le journalisme n’est pas mort, mais il doit se reconstruire à partir des nouvelles habitudes de consommation de l’information. L’expérience de Médiapart, en France, qui favorise un journalisme d’enquête sans recourir aux supports habituels (le journal est entièrement numérique) est à suivre. Mais il navigue à contre-courant, puisqu’il n’est pas gratuit. Pour le lire, il faut payer.

Si le journalisme, au Québec, a connu ses heures de gloire avec les équipes de reportage qui ont bousculé l’actualité – les reporters de Radio-Canada, notamment, sont à l’origine de la mise au jour des systèmes de corruption dans l’industrie de la construction –, on observe depuis quelque temps un recul de sa notoriété et de sa place dans la sphère publique.

Les journalistes demeurent d’excellents otages, répond avec cynisme Marc Laurendeau, qui analyse l’information internationale dans son chapitre du livre. Les terroristes islamistes n’ont pas besoin de médias traditionnels pour faire passer leurs messages; YouTube fait bien mieux. Mais les islamistes peuvent «se servir des journalistes pris en otage comme points d’appui et capteurs d’attention pour instaurer un climat de terreur»…

35 ans plus tard

Le projet de MM. Maltais et Cayouette repose sur l’intention de revisiter un ouvrage qui avait marqué l’identité de la profession au Québec : Les journalistes : dans les coulisses de l’information. Paru en 1980 chez le même éditeur, ce livre donnait la parole à des reporters d’expérience et à de jeunes plumes, et présentait en quelque sorte un instantané du métier de journaliste. Le monde a bien changé depuis.

Or, si les gens continuent de s’informer – ils le font même plus qu’avant pour ce qui est des minutes de consommation quotidienne –, ils tournent le dos aux producteurs de contenus classiques, déplore Florian Sauvageau, professeur émérite de l’Université Laval qui était parmi les signataires du premier volume. La lecture de quotidiens, par exemple, occupait 15 minutes du temps des Québécois en 2007; elle dure 10 minutes en 2015. Ceux-ci consultaient les médias numériques pendant 4 minutes il y a huit ans. Aujourd’hui, ce temps dépasse les 37 minutes.

Il y a, bien entendu, du contenu journalistique dans les médias numériques. Mais il est largement dépassé par l’information brute provenant de diverses sources. Certes, on peut considérer comme un progrès que l’usage des médias ne soit plus l’apanage des journalistes et que ces derniers permettent un échange horizontal chez les consommateurs d’information. Mais le mélange des genres n’est pas un gage de succès. «J’ai une haute opinion du journalisme, écrit en conclusion M. Sauvageau. J’ai le même idéal, ou la même utopie, depuis des décennies. Les médias sont inhérents à la vie démocratique. Ils doivent permettre à des citoyens éclairés de participer à la vie de la cité et constituent le lien qui forge la démocratie.»

Pour servir cette cause, les journalistes demeurent des professionnels adéquats. D’ailleurs, Thomas Kent, rédacteur en chef à l’agence Associated Press, apporte sa contribution à l’ouvrage en présentant une définition du journaliste. Il s’agit d’une personne «qui consacre un temps considérable à la collecte d’informations et à la production d’analyses rigoureuses pour un vaste public et qui a la liberté de tirer ses propres conclusions selon l’esprit d’une éthique transparente». Un métier qui ne s’improvise pas.