Saint-Laurent-du-Maroni, dans l’Ouest guyanais, a vécu samedi 30 novembre sa première marche contre le VIH. L’occasion pour ses organisateurs d’attirer l’œil des habitants sur une épidémie qui y est plus active que dans n’importe quel département français et dont la propagation est favorisée par le tabou qui entoure encore aujourd’hui cette maladie sur le territoire.

9h30, ce samedi 30 novembre, acteurs de la lutte contre le VIH, patients et simples soutiens s’élancent de la place des Fêtes, le long du fleuve. En un peu moins de deux heures, la grosse quarantaine de participants à la marche traverse la ville, distribuant préservatifs et chantant à tue-tête slogans informatifs – « indétectable = intransmissible » est crié en quatre langues – et appels à mettre fin à la discrimination des personnes séropositives.

À la veille de la journée mondiale de lutte contre le sida, institutionnels et associations de la deuxième ville de Guyane partagent le même constat : dans l’Ouest guyanais, le combat avance, mais il encore loin d’être remporté, à tous les niveaux. Malgré un statut de « zone d’épidémie généralisée » – plus d’un pour cent des femmes enceintes sont touchées par le virus, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé – connu depuis 2008. Non seulement la Guyane reste le département français le plus touché par la pathologie, mais le nombre de personnes infectées par le VIH y augmente toujours.

« Le taux de découverte », c’est-à-dire le nombre de personnes nouvellement dépistées positives, « est le plus haut de France, à 896 pour un million en 2018. À titre de comparaison, en métropole on est à un peu plus de 100 pour un million », nous explique le docteur Camille Agostini, responsable du département santé publique et coordinatrice du programme d’éducation thérapeutique du Centre hospitalier de l’Ouest guyanais (Chog).

Une zone de mobilité… et d’immobilisation

La forte présence du VIH dans la région s’explique en partie par la situation géographique du territoire, coincé entre plusieurs zones de mobilité migratoire. Ainsi, 80 % des séropositifs dépistés en 2018 sont originaires du Brésil, du Surinam, de Guyana ou d’Haïti. « C’est un bassin de vie : les gens bougent, la frontière n’existe que sur les cartes », explique Anaëlle Gourmelon, coordinatrice territoriale pour l’Agence régionale de santé (ARS).

À l’Ouest, en dehors de Saint-Laurent-du-Maroni, nombre de Guyanais vivent dans des zones isolées, en particulier sur les fleuves. Ce qui participe d’une « épidémie cachée », avec de nombreuses personnes qui ne vont pas se faire dépister, regrette Camille Agostini.

L’accès aux droits et à la santé est parfois difficile – nombreux sont les non-francophones ou ceux sans domiciliation officielle – et les transports sont coûteux et peu nombreux. Sur les fleuves, pirogues ou avion sont obligatoires. Même à proximité de la ville « comme il n’y a pas de transports publics et que les taxis sont chers, les patients, souvent précaires, ne peuvent venir se faire soigner », rappelle Alexandra Piette, du réseau Kikiwi, qui accompagne les patients.

Un tabou encore bien présent

Et même lorsqu’ils ont la possibilité de le faire, nombre de Guyanais attendent d’être « au stade sida » ou l’apparition de maladies opportunistes pour se faire dépister, par peur de la « stigmatisation », déplore Agnès Nawang, présidente de Aides Guyane. « Même si moins qu’avant, beaucoup vivent cachés avec le VIH, parfois dans des conditions très précaires. » « Beaucoup de patients me disent qu’ils ne peuvent pas en parler à leur famille, par peur de se faire rejeter », abonde Alexandra Piette. « C’est une maladie très mal vue, considérée comme sale, très taboue. »

Une habitude du secret qui diminue, mais qui s’accompagne toujours de discriminations. Yeke Couassiba, qui vit avec le VIH depuis dix ans, raconte comment un de ses amis a été forcé « de manger dans des bouteilles en plastique coupées », sa famille refusant de lui laisser utiliser les assiettes, par peur d’être contaminée.

Ces discriminations « existent à tous les niveaux, professionnels ou sociaux, certains ne veulent pas être avec “ces gens-là” », soupire Pascal Selle, animateur de prévention santé sur la région. Un rejet favorisé par la persistance de rumeurs et croyances erronées. « On ne peut pas arrêter les gens, ils parlent de ce qu’ils veulent dans le dos » commente M. Couassiba, philosophe, quand on lui demande si les rumeurs visant les séropositifs le touchent.

Des équipes très mobilisées…

Malgré ces difficultés, les divers maillons de la lutte contre le VIH dans l’Ouest guyanais se montrent très dynamiques. Tous prennent en compte les barrières linguistiques et de compréhension de leurs patients, conscients que la documentation officielle, en français, est insuffisante. Tous cherchent à développer la santé communautaire, à mettre en place des outils pédagogiques, des médiateurs dans les différentes communautés du territoire afin de diffuser un maximum d’informations et de faire remonter les questions et demandes des habitants.